- MÉSOMORPHE (ÉTAT)
- MÉSOMORPHE (ÉTAT)L’état mésomorphe présente une organisation intermédiaire entre celle d’un solide monocristallin et celle d’un liquide. Les phases solides ont une périodicité tridimensionnelle stricte alors que, dans les liquides usuels, ni la direction des molécules ni la position de leur centre de gravité ne s’ordonnent. L’état mésomorphe est obtenu à partir du réseau tridimensionnel par l’introduction graduelle de différents types de désordre. Le désordre peut être soit dynamique – à la température considérée les molécules tournent ou se translatent rapidement selon certaines directions – soit statique. Dans ce dernier cas, les molécules sont distribuées statistiquement selon deux ou plusieurs positions non équivalentes sans qu’il y ait interconversion des unes dans les autres. Les cristaux liquides constituent une part importante des états mésomorphes et de très nombreuses études leur ont été consacrées.Rupture d’ordre de type rotationnelLa symétrie tridimensionnelle du réseau monocristallin peut être rompue par l’induction de rotations des molécules qui le constituent (fig. 1). La molécule initialement immobile et ordonnée (fig. 1a) commence généralement par tourner autour de son plus grand axe (fig. 1b). Les centres de gravité conservent ou ne conservent pas la position qu’ils occupaient à l’état solide. L’amplitude de la rotation peut varier d’un mouvement libre autour du grand axe jusqu’à une oscillation autour de deux positions extrêmes. Cette mise en mouvement des molécules peut être détectée par calorimétrie ou par des méthodes de résonance magnétique nucléaire. Lorsque la molécule est globulaire, une rotation isotrope autour des trois axes devient possible (fig. 1c). On obtient alors une phase appelée cristalline plastique (cf. Cristaux plastiques ).Les ruptures d’ordre de type rotationnel ont été mises en évidence dans de nombreux cas. Par exemple, la molécule de benzène peut tourner à l’état solide autour de l’axe d’ordre 6 perpendiculaire au plan du cycle. L’énergie d’activation nécessaire à cette rotation est de l’ordre de 14,6 à 17,5 kJ/mole. Les chaînes paraffiniques cristallisées présentent une conformation étendue; par élévation de température, des mouvements de rotation autour du grand axe de la molécule peuvent avoir lieu. Ces rotations sont d’abord locales et n’intéressent que quelques motifs éthyléniques puis englobent la totalité de la chaîne.Rupture d’ordre de type translationnelLa périodicité tridimensionnelle peut également être rompue par des processus translationnels, qui sont planaires, axiaux ou biaxiaux (fig. 2).La translation planaire conduit à un glissement de plans les uns vis-à-vis des autres (fig. 2b); l’organisation des molécules au sein des différents plans est conservée mais il n’existe plus de relations simples entre la position de molécules appartenant à des plans différents. Au sein des matériaux naturels, ces plans de clivage correspondent généralement à des plans de moindre énergie d’interaction comparée à l’énergie d’association des molécules au sein des plans. Les cristaux liquides de type smectique (cf. Cristaux liquides thermotropes ) fournissent les exemples les plus nombreux de ce type de rupture d’ordre. Très généralement, l’apparition de désordres de type translationnel est couplée à une mise en rotation des molécules autour de certains de leurs axes. Les ruptures d’ordre rotationnelles et translationnelles sont donc presque toujours intimement mêlées. Il existe 230 groupes d’espace à trois dimensions; au sein des plans, il ne subsiste que 17 façons différentes d’ordonner les molécules, conduisant à 17 états mésomorphes de symétrie différente.Les translations axiales conduisent à des états mésomorphes où il existe un axe directeur – l’axe de glissement – et où subsiste un ordre unidimensionnel (fig. 2c). Il existe 7 groupes de symétrie à une dimension et donc 7 états mésomorphes qui peuvent théoriquement être mis en évidence.Enfin, pour les translations biaxiales un désordre supplémentaire est introduit en combinant des processus de désordre translationnel selon deux axes distincts (fig. 2d). On obtient ainsi un état mésomorphe où seule une direction d’orientation privilégiée est conservée, mais où la position des centres de gravité des différentes molécules n’appartient à aucune organisation périodique. L’ordre nématique des cristaux liquides thermotropes (cf. Cristaux liquides thermotropes ) appartient à cette catégorie; cependant, dans ce dernier cas, des désordres rotationnels sont toujours présents.Cristaux plastiquesEn 1938, J. Timmermans définit un nouvel état de la matière: les cristaux plastiques . Ces cristaux sont formés de molécules organiques globulaires qui s’ordonnent selon une symétrie cubique et qui présentent une plage de stabilité thermique bien déterminée entre l’état solide et l’état liquide. Par exemple, l’adamantane présente une transition de phase à 漣 64 0C et ne devient liquide qu’à 269 0C. La symétrie du réseau est tétragonale au-dessous de 漣 64 0C pour devenir cubique face centrée au-delà, et une rotation quasi isotrope de la molécule est possible grâce à sa structure globulaire et à sa haute symétrie.Un critère simple et précis a pu être déterminé pour prédire l’existence de cristaux plastiques: si le rapport R entre la distance séparant les centres de deux molécules voisines et le diamètre maximal d’une molécule est supérieur à 0,81, alors l’existence de cristaux plastiques dans un certain intervalle de température est probable. Le rapport R mesure en fait le degré d’interpénétration des molécules dans la phase solide; une structure globulaire réduit cet enchevêtrement et augmente corrélativement la valeur de R. De très nombreux exemples ont permis de démontrer la validité de ce critère. Le cyclohexane (R = 0,94), le cyclohexanol (R = 0,89), le cyclopentane, l’adamantane et la quinuclidine (R = 0,88), le bicyclo-2,2,2 octane (R = 0,86) et la triéthylène diamine (R = 0,82) conduisent tous à des phases cristallines plastiques. En revanche, l’hexaméthylène tétramine (R = 0,77) et l’hexafluorure d’uranium (R = 0,75) ne donnent pas lieu à des mésophases. Les cristaux plastiques fournissent donc des exemples typiques d’une rupture d’ordre rotationnelle. La symétrie de la molécule peut être tétraédrique comme dans C(NO2)4, bitétraédrique comme dans Me3Si-SiMe3 ou cyclique (cyclobutane, cyclopentane...). Dans tous les cas, le diamètre maximal de l’unité moléculaire est approximativement de 0,1 nm plus grand que le diamètre de la sphère effective à l’intérieur de laquelle la molécule tourne. Les rotations ne peuvent donc pas être considérées comme libres.Cristaux liquides thermotropesEn 1888, un botaniste, F. Reinitzer, remarqua que la fusion d’un sel de cholestérol (le benzoate de cholestéryle) donnait lieu à l’apparition d’une substance liquide trouble qui ne se clarifiait qu’à quelque 30 0C au-dessus du point de fusion. Le physicien O. Lehmann remarqua que ce liquide trouble présentait quelques-unes des propriétés généralement associées aux cristaux; en particulier, il était optiquement anisotrope. Il fut donc proposé de nommer cristaux liquides ces états de la matière intermédiaires entre les états cristallins solides et les liquides isotropes. Le fait que l’apparition de ces états mésomorphes se fasse par simple élévation de température a conduit à leur ajouter le qualificatif de thermotropes .M. G. Friedel a proposé de classer les cristaux liquides en deux grandes catégories: les phases nématiques et les phases smectiques . Les molécules se prêtant à l’apparition de tels états mésomorphes sont généralement oblongues, mais il arrive que des molécules discotiques soient à l’origine de ces états (cf. infra ).Les phases smectiques présentent des plans périodiquement empilés les uns sur les autres (fig. 3a). Il n’existe pas de corrélation stricte entre les positions des molécules appartenant à des plans différents. Seule la distance interplanaire est constante et périodique. À l’intérieur de chaque plan, les molécules peuvent être organisées selon une périodicité bidimensionnelle; il est donc possible, théoriquement, d’obtenir 17 états mésomorphes différents de type smectique. Dans les smectiques A et C – qualifiés ainsi selon l’ordre de leur découverte –, les molécules tournent librement autour de leur grand axe, les positions des centres de gravité ne présentent aucune périodicité. Ces deux phases ne diffèrent que par l’angle que fait le grand axe de la molécule avec la normale au plan. Des phases smectiques dites ordonnées ont été mises en évidence dans lesquelles un arrangement périodique des molécules au sein des plans a été décelé par diffraction des rayons X. La présence de réseaux bidimensionnels hexagonaux (smectiques B et H) et orthorhombiques (smectiques E et G) a pu ainsi être démontrée. L’utilisation de composés optiquement actifs permet d’augmenter encore le nombre d’états mésomorphes possibles. Dans le cas des smectiques C, dits chiraux, il existe une corrélation interplanaire entre les axes directeurs des molécules: les plans s’empilent selon une structure hélicoïdale.Dans la phase nématique, les axes des molécules sont parallèles les uns aux autres tandis que les centres de gravité sont répartis sans aucune périodicité (fig. 3b). L’utilisation de dérivés optiquement actifs peut conduire là encore à des structures spiralées, appelées phases cholestériques .Contrairement aux phases smectiques, la viscosité des phases nématiques est faible, de l’ordre de quelques centipoises; leur aspect est donc très proche de celui des liquides ordinaires. Les chaleurs latentes de changement de phase cristal liquide (nématique ou smectique)liquide isotrope sont peu élevées en comparaison avec les transitions solidecristal liquide. Les réarrangements structuraux les plus importants s’opèrent donc dans ce dernier cas. Les cristaux liquides – du moins ceux qui sont classifiés comme désordonnés – présentent un agencement moléculaire plus proche de celui des liquides que de celui des solides monocristallins. Les changements de phase peuvent être observés au microscope en lumière polarisée. Dans le cas des phases nématiques, apparaissent des filaments sombres et mobiles; ce phénomène a conduit au qualificatif utilisé pour cette phase (de nêmatos : fil).En 1965, la formation d’états mésomorphes à partir de composés discoïdes a été décrite (fig. 3c et 3d), mais ce n’est qu’en 1977 que S. Chandrasekhar démontra l’existence de telles mésophases à partir des dérivés hexasubstitués du benzène. L’organisation provient de la ségrégation entre des parties rigides et planes et des parties flexibles d’une même molécule. Généralement, un noyau aromatique est substitué sur son pourtour par des chaînes paraffiniques. Les cœurs aromatiques s’empilent les uns sur les autres pour former des colonnes et on parle de phase colomnaire (fig. 3c). Ces colonnes forment entre elles un réseau bidimensionnel, le plus souvent de symétrie hexagonale. Les colonnes sont séparées les unes des autres par un milieu quasi liquide constitué par les chaînes paraffiniques à l’état fondu. Si des groupements volumineux sont introduits à la périphérie, l’ordre colomnaire est défavorisé et une organisation de type «nématique lenticulaire » est préférée (fig. 3d).Les principaux types d’organisation associés aux cristaux liquides étant établis, il est possible de se préoccuper de la nature chimique des composés permettant leur obtention. Les phases nématiques et smectiques apparaissent toutes deux lorsque des molécules oblongues sont utilisées. Ces molécules ont en commun une forte asymétrie géométrique; elles possèdent une longueur minimale comprise entre 1,3 et 1,4 nm. Elles ont presque toujours un moment dipolaire permanent et l’anisotropie de polarisation est toujours importante.Les phases colomnaires – improprement appelées quelquefois discotiques – se rencontrent avec divers noyaux aromatiques centraux: benzène, triphénylène, truxène, phtalocyanine. La symétrie du cœur aromatique n’est pas limitée et les symétries hexagonale, tétragonale et trigonale conduisent toutes à des mésophases colomnaires. Les chaînes latérales garnissant la périphérie du noyau aromatique sont presque uniquement constituées de dérivés hydrocarbonés comportant ou non un noyau phényl. Les chaînes sont attachées au cœur par des liaisons de type éther ou ester. Un oligomère de l’oxyde d’éthylène a également été utilisé comme chaîne latérale.Cristaux liquides lyotropesLes états mésomorphes obtenus par le mélange de certaines substances avec des solvants sont appelés cristaux liquides lyotropes . Ces cristaux liquides comprennent toujours deux constituants: un dérivé mésogène et un solvant (généralement de l’eau). Le solvant n’a pas simplement pour effet de «diluer» la phase cristalline liquide, il participe à l’organisation du matériau. Dans le cas de l’eau, le mésogène est généralement une molécule constituant les savons – c’est-à-dire une chaîne paraffinique substituée à son extrémité par un groupement carboxylate:Les savons sont des composés amphiphiles, ils possèdent simultanément une partie hydrophile avide d’eau (le groupement carboxylate) et une partie hydrophobe (la chaîne hydrocarbonée). Le type d’organisation des cristaux liquides lyotropes est fortement marqué par cette ambivalence: les parties hydrophiles tendent à s’agréger pour former des régions polaires tandis que les composants hydrophobes s’associent pour former des zones apolaires.Deux types principaux d’organisation sont rencontrés: les phases de symétries lamellaire et cylindrique. L’organisation lamellaire se rencontre déjà dans la forme solide des savons anhydres (fig. 4a et 4b). Les groupes carboxylate fortement liés à leur contre-ion (généralement un cation alcalin) tapissent l’extérieur des plans formés par les chaînes paraffiniques. Les parties hydrophiles et hydrophobes sont toutes deux cristallisées et figées. Selon la grosseur de la tête polaire, des structures en bicouche (fig. 4a) ou en monocouche (fig. 4b) peuvent être observées. En effet, la distance entre les chaînes paraffiniques cristallisées ne peut être supérieure à 0,45 nm. Dans une structure en bicouche, des têtes polaires trop volumineuses conduiraient à des distances interchaînes plus importantes, une structure en monocouche est donc adoptée. En présence d’eau une phase «gel» est obtenue (fig. 4c); les molécules d’eau s’introduisent entre les plans constitués des molécules amphiphiles et les écartent à des distances pouvant atteindre jusqu’à 10 nm. Simultanément, les têtes polaires s’ionisent, et le groupe carboxylate et son contre-ion sont solvatés séparément. Une structure en monocouche est adoptée. Les chaînes hydrocarbonées se trouvent encore dans un état quasi cristallin et sont entièrement étendues. Par élévation de température, les chaînes paraffiniques «fondent» pour former des cristaux liquides (fig. 4d et 4e); les composantes hydrophiles et hydrophobes ne s’ordonnent plus selon aucune périodicité.Lorsque la concentration en eau augmente, une organisation de symétrie cylindrique apparaît (fig. 5). Dans tous les cas, les chaînes paraffiniques sont dans un état cristal liquide. Dans la phase dite «normale» des cylindres infinis constitués des molécules d’amphiphiles sont séparés les uns des autres par un milieu aqueux (fig. 5a). Les cylindres forment généralement un réseau hexagonal bidimensionnel. Des molécules polaires – tel le méthanol – ou des électrolytes peuvent être incorporés au milieu aqueux intercolomnaire sans rompre la structure de la mésophase. Dans quelques cas, des cylindres possédant un cœur formé de groupements hydrophiles et d’un milieu aqueux ont été mis en évidence (fig. 5b); les molécules amphiphiles sont alors organisées en double couche.Des phases «inverses» ont également été mises en évidence (fig. 5c); le milieu intercolomnaire est cette fois constitué de la partie hydrophobe de la molécule; des solvants apolaires tels que le benzène ou des alcanes sont généralement ajoutés au milieu.Des empilements de symétrie rectangulaire ont également été observés (fig. 5d).La nature chimique des amphiphiles utilisées n’est pas aussi multiple que pour les cristaux liquides thermotropes. La partie hydrophobe est presque toujours constituée d’une chaîne hydrocarbonée. La tête polaire, quant à elle, peut être choisie dans un plus large éventail. Des groupes anioniques tels que:ou des groupes cationiques tels que:peuvent être utilisés. Toutefois, des dérivés polaires mais non ioniques (polymère de l’oxyde d’éthylène, polyols et sucres apparentés) peuvent également conduire à des mésophases lyotropes. Des groupes zwitter-ioniques comme:sont également rencontrés, principalement dans les systèmes biologiques. Plus récemment, l’utilisation comme tête polaire de ligands pouvant servir de sites de complexation à des ions alcalins ou alcalino-terreux ainsi qu’à des cations de transition a pu être menée à bien.
Encyclopédie Universelle. 2012.